Un petit coin de Léo Ferré
Publié le 12/01/2009 à 12:00 par jefka
Léo Ferré naît le 24 août 1916. Le temps alors n'est pas vraiment rythmé par les chants poétiques mais saccadé de marches guerrières. Verdun s'apprête à massacrer une partie de la jeunesse et à parsemer la terre de cadavres par centaines de milliers.
Seigneur, quand froide est la prairie,
Quand, dans les hameaux abattus,
Les longs angélus se sont tus...
Sur la nature défleurie
(Les corbeaux – Léo chante Rimbaud)
Sa mère se prénomme Marie, son père Joseph. La coïncidence s'arrête là. Léo ne sera jamais animé par une quelconque dévotion religieuse, ses passions anarchistes l'emportant même plus tard aux frontières du respect de bienséance vis à vis des convenances catholiques.
Pour regarder Jésus-machin
Souffler sur ses trente-trois bougies
(Pépée – Léo Ferré)
Monaco sera le lieu de son enfance et les remparts son terrain de jeu. De là-haut, il peut s'adonner à l'observation de la vie d'en bas. Il s'aventure ainsi sur les chemins de la contemplation qui nourrira un jour le poète. Il n'aime pas cette cité monégasque tout acquise au jeu. Son père, employé au Casino de Monte-Carlo, côtoie quotidiennement la martingale et ses effets néfastes sur l'âme humaine. Il vaccine par ses avertissements son fils de toute tentation hasardeuse. Léo Ferré n'aimera jamais le jeu, qu'il considère peut-être comme d'autres comme un opium du peuple.
Le poète eût préféré Barcelone pour l'accueillir sur cette terre.
Le rouge pour naître à Barcelone
(Thank you Satan – Léo Ferré)
Mais l'on ne choisit pas son lieu de parachutage, tout comme cette solitude qui dès la naissance vous accompagne jusqu'à la mort. Léo la perçoit très vite, dès son plus jeune âge, pout plus tard l'embrasser. La solitude est un état permanent qui prend racine dès l'enfance, quelque soit l'éducation des parents qui jamais ne connaîtront totalement leur enfant.
Et la Mère, fermant le livre du Devoir,
S'en allait satisfaite et très fière, sans voir
Dans les yeux bleus et sous le front plein d'éminences
L'âme de son enfant livrée aux répugnances
(Les poètes de sept ans – Léo chante Rimbaud)
Publié le 21/12/2008 à 12:00 par jefka

Ton style fut initialement une musique orpheline de paroles. Léo Ferré avait écrit une composition musicale destinée à accompagner un film de Jean-Pierre Mocky. Sauf que ce dernier fît peu de cas de cet arrangement et s'en alla, laissant seul l'artiste avec ses partitions. Le poète suppléa alors le compositeur et les mots épousèrent cette musique abandonnée.
Ton style est un hommage à la femme indépendante qui s'affirme au début des années soixante-dix, au grand dam de celles qui se refusent à vivre pleinement leur corps.
Ces ombres dans les yeux des femmes quand tu passes
La femme indépendante plaît à Léo Ferré car elle participe à ce chahut naissant qui contrarie une société bourgeoise dite bien-pensante et pourtant retranchée dans ces derniers bastions religieux. La femme qui s'éveille n'envisage plus n'être qu'un instrument voué uniquement à la procréation.
Tous ces ports de la nuit ce môme qu'on voudrait bien
Et puis qu'on ne veut plus dès que tu me fais signe
Au coin d'une réplique enfoncée dans ton bien
Par le sang de ma grappe et le vin de ta vigne
La femme qui se libère n'hésite d'ailleurs pas à exhiber cette liberté qui sommeille en elle.
Ton style c'est ton cul c'est ton cul c'est ton cul
La mode vestimentaire de l'époque accompagne ces aspirations féminines, le tissu se voulant plus rare...
Aux bijoux de trois sous aux lingeries de rien
...tout en conservant quelques mailles pour laisser place à l'imaginaire.
Ce qui me plaît chez toi c'est ce que j'imagine
La femme libérée n'a dès lors aucun mal à s'offrir...
Tous ces cris de la rue ces mecs ces magasins
Où je te vois dans les rayons comme une offense
...à ce lui qui saura la satisfaire...
Ton style c'est ma loi quand tu t'y plies salope!
C'est mon sang à ta plaie c'est ton feu à mes clopes
C'est l'amour à genoux et qui n'en finit plus
...sans être une femme-objet...
Ton style c'est ta loi quand je m'y plie salope !
C'est ta plaie c'est mon sang c'est ma cendre à tes clopes
...parce que tel sera son choix. L'amour, le véritable, celui qui n'est pas complice des conventions et des bonnes moeurs, est peut-être dès lors au coin d'une rue.
Ton style c'est ton coeur c'est ton coeur c'est ton coeur
Publié le 10/12/2008 à 12:00 par jefka
On m'appell' la télé, la montreuse à tout-va
Avant d'fair' le trottoir j'me les caill' sur les toits
J'suis pas grand-chos' de bien, c'est sûr, mais ce qui m'gêne
C'est leurs yeux interlopes qui me luxent les antennes…
On m'appell' la télé, la montreuse électrique
Et j'suis comme un' morphin' qu'endort la république…
On m'appell' la télé des famill's tout c'qui y a d'mieux
J'ai des ministres oc-CULtes à qui je fais les yeux
J'suis la télé-partouze, final'ment, faut bien l'dire
Qu'importe la partouze quand c'est pour le plaisir…
On m'appell' la télé et j'fais tous les quartiers
Avec mes patt's en l'air j'ai l'voyeur assuré
L'Olympe s'est vidé, l'music-hall du bisness,
Alors pour le remplir il tâte mon Palmarès...
Extrait de « La complainte de la télé » - Léo Ferré, 1966
Toute ressemblance entre cet extrait et la télévision de l’an 2000 serait-elle purement fortuite ?
Publié le 23/11/2008 à 12:00 par jefka

Il est un point commun entre Léo Ferré et le philosophe, le refus. L'un et l'autre, sur la voie qui est la sienne, fait état d'une volonyé permanente destinée à éveiller les consciences. Léo Ferré pouvait bien chanté qu'il n'était qu'un artiste, converti en idole par son public...
Je ne suis qu'un artiste de Variétés
et ne peut rien dire qui ne puisse être dit "de variétés"
car on pourrait me reprocher de parler de choses qui ne me regardent pas
...il se considérait avant tout comme un messager du non. La poésie et la musique étaient ses armes pour sensibiliser les âmes aux nécessités de la révolte, jusqu'à ce que cells-ci s'émancipent pour embrasser la révolution. Il n'était nullement question pour le poète Ferré d'orchestrer une action politique. Il préférait l'anarchisme individualiste au socialisme ou tout autre forme de collectivisme : éveillez-vous chacun et je vous y aiderai, le mouvement de masse qui en résultera vous appartient.
La philosophie est également une percée introspective nourrie de négation. Les premiers philosophes refusèrent, dans une démarche ontologique, d'accepter l'imagerie collective que représentaient les mythes. L'Antiquité expliquait le monde et ses manisfestations en mettant en scène des dieux, qui par leurs comportements et leurs état d'âme, composaient l'ordre naturel influant sur la condition de l'homme. L'orage par exemple était la manifestation d'une colère divine, alors qu'avec le printemps et son renouveau, peut-être était venu le temps de la réconciliation entre déesses. Les premières tentatives philosophiques tentèrent de rationaliser ce qui à l'époque n'était pas observable. Il suffisait pour cela de refuser les évidences, qui comme le diasait Léo Ferré, servent le pouvoir à se maintenir. Questionner la vie et le sens des choses induit des réponses qui peuvent s'opposer au bien-fondé des conventions admises.
Publié le 15/11/2008 à 12:00 par jefka

L'anarchie serait-il cet arbre des possibles sur lequel pousserait un fruit défendu par la loi, au goût particulier de liberté individuelle ? Les décrêts et réglements ne seraient-ils qu'une serpe employée par l'autorité qui dans le meilleur des cas cherche à se légitimer, au pire s'affirme inconstestable jusqu'à devenir inconstestée ?
Léo Ferré découvre dès son plus jeune âge une définition qui le marquera profondément et conditionnera une partie de son oeuvre : « Anarchie, négation de toute autorité, d'où qu'elle vienne ». L'anarchie consisterait ainsi à dire non, à refuser les conventions annihilantes et l'exploitation asservissante. Ce refus n'est pas destructif dès lors qu'il s'impose à la conscience humaine comme une vérité, promulguant l'individu et non le texte, n'étant pas ce détonateur si souvent employé pour embraser un pouvoir au profit d'un autre. L'anarchie cependant réclame le désordre, car il s'agit bien de rompre avec un modèle de société dont le respect d'autrui n'est envisageable parce qu'écrit uniquement par le législateur.
Nous vivons ainsi dans un monde où nos agissements ne sont que l'expression de nos craintes face à la sanction. L'homme serait naturellement mauvais mais pas suffisamment suicidaire pour s'exonérer de toute contrainte. Qu'il se protège donc derrière ses tribunaux, qu'il se gouverne dans ses palais ou encore abdique face à quelques sacerdoces. L'homo-sapiens n'est pas prêt aujourd'hui à s'inscrire dans ce désordre tel que le présente Léo Ferré : « le désordre, c'est l'ordre sans le pouvoir ». Il est encore trop tôt pour expérimenter ce mode d'existence, même si certains penseurs ont bien tenté de nous délivrer les préceptes d'une fraternité ni administrée, ni judiciarisée. Citons Kant, qui proposait une alternative sous les formes de la morale, consistant pour chacun à agir de façon désintéressée, ne recherchant pas chez autrui un moyen de s'accomplir soi-même mais une fin à ses propres engagements. Nous en sommes loin, très loin. Un jour peut-être, lorsque la sagesse l'aura emportée sur les passions. Pourquoi pas en l'an 10 000 !
L'An Dix mille...Lochu ? Tu t'rappelles ?
L'An Dix mille...Tu t'rappelles ? Lochu ?
L'An Dix mille, l'An Dix mille, l'An Dix mille...
Publié le 07/09/2008 à 12:00 par jefka

La solitude
La solitude est la première chanson d'un album qui porte le même titre. Léo prend cette fois-ci une dimension galactique pour s'adresser à nous, pauvres terriens, qui décidement ne comprenont pas grand-chose.
Je suis d'un autre pays que le vôtre, d'un autre
Quartier, d'une autre solitude
Je m'invente aujourd'hui des chemins de traverse
Je ne suis plus de chez vous
J'attend des mutants
Le poète n'est pas de notre solitude, de celle qui nous fait peur, nous les individus ordinaires dont la vie ne saurait souffrir du silence et de l'absence. Et pourtant, le silence peut être une musique inspiratrice qui joue dans note coeur et s'écrit sous quelques offrandes spirituelles. Le silence et la solitude appartiennent au quotidien créateur qui peut interpeller tout être humain. Pour les artistes, c'est toute une vie qui flirte avec la solitude, douloureuse pour les maudits, bien-aimée et caline pour les misanthropes.
L'enfer, c'est les autres, comme l'écrivit Sartre que Léo Ferré rencontra. Ces autres, qui sont si malléables et pourtant prétentieux en affirmant le contraire.
Il est de toute première instance que les laveries
automatiques, au coin des rues, soient aussi
imperturbables que les feux d'arrêt ou de voie libre.
Les flics du détersif vous indiqueront la case où il
vous sera loisible de laver ce que vous croyez être
votre conscience et qui n'est qu'une dépendance de
l'ordinateur neurophile qui vous sert de cerveau. Et
pourtant...
La solitude...
La solitude, à condition de la dompter, serait salvatrice dans cette société qui n'est qu'un emprisonnement de soi et utilise volontiers les influences de masse que l'on appelle moeurs pour conditionner chacun d'entre nous. La solitude au contraire, si elle est exploitée et non subie, est un détonateur qui fait exploser toutes les certitudes qui nous ont été transmises.
Il est de toute première instance
que nous façonnions nos idées comme s'il s'agissait
d'objets manufacturés.
Je suis prêt à vous procurer les moules
Léo est un personnage public dont la stature lui permet de s'adresser aux foules. Les mots et la musique sont l'expression de son talent qu'il pourrait contraindre à satisfaire un public conventionnel...
Mais...
La solitude...
La solitude, c'est un bien-être, dixit le poète. Elle évite ainsi les cons. En cela, elle est un privilège qui n'est pas naturel. Dès la naissance, la bienveillance des autres nous est nécessaire et il faut ensuite intéressé pour réussir. Jusqu'à se libérer de ce joug que sont les relations d'usage et n'accepter que des rencontres comme autant d'actes d'amitié.
La solitude serait-elle donc le vecteur de la liberté ? Peut-être pas mais tout du moins y contribue-t-elle lorsqu'elle est constructive, jusqu'à se maquiller en un désespoir paré de lucidité.
Le désespoir est une forme supérieure de la critique
Publié le 23/07/2008 à 12:00 par jefka

Je commencerai par une anecdote. Picasso est installé à la table d'un restaurant. Pour s'occuper pendant que son plat est préparé, il dessine un croquis sur une nappe en papier. Le serveur, qui reconnaît le peintre lorsqu'il sert celui-ci, lui demande de lui donner ce dessin qu'il vient de réaliser. Picasso refuse. Le serveur, interloqué, insiste en argumentant le fait qu'il n'a fallu que quelques minutes à l'artiste pour produire ce qui s'offre à ses yeux. Picasso alors lui répond : « Non, c'est l'oeuvre de toute une vie ».
Cette histoire illustre assez bien la façon dont fût écrite la chanson C'est extra. Nous sommes fin 1968, les évènements de mai se sont soldés par une retour politique de l'ordre et de la sécurité, mais pourtant le livre de la contestation est dorénavant grand ouvert. Léo, comme d'autres, y plantera sa plume. L'agitation ambiante, qui n'est plus dans la rue mais dans les esprits, inspire le poète. En fuite conjugale, celui-ci se réfugie en Ardèche, dans une maison à louer. Un petit matin, un vieux piano s'offre à lui et Léo lui concèle alors ses notes. C'est extra est composé d'un jet, sans artifice. Le succès sera immense.
Une robe de cuir comme un fuseau
Qu'aurait du chien sans le faire exprès
Et dedans comme un matelot
Une fille qui tangue un air anglais
Léo figure une jeune femme dans cette évocation marine, cette femme qui troublerait l'eau dans laquelle « un nageur qu'on attend plus » se noyerait dans sa plus profonde intimité.
1969 naît et Léo offre au public un slow torride. Il participe à sa façon à l'érotisation des coeurs, dont Gainsbourd sera le chantre. Le poète fait état d'une lente montée vers la jouissance, simulant en rythmique cette petite mort qui nous va si bien, nous les hommes.
Ces mains qui jouent de l'arc-en-ciel
Sur la guitare de la vie
Et puis ces cris qui montent au ciel
Comme une cigarette qui prie
C'est extra
Des bas qui tiennent haut perchés
Comme les cordes d'un violon
Et cette chair qui vient troubler
L'archet qui coule ma chanson
C'est extra
Lorsque la poésie est au service du désir, la vulgarité se noie dans un bain de jouissance. Tout ici n'est que subtilité classant le sexe au rang de l'art, pour être consommé puis consummé comme une cigarette qui prie.
Le succès est immédiat, Léo colorant son texte d'une musique d'époque, planante et sensuelle comme un de ces « Moody blues qui chantent la nuit comme un satin de blanc marié ».
A tous ceux et toutes celles qui ont pensé, ne serait-ce qu'une micro-seconde, que Léo Ferré était misogyne, cette chanson est une réponse lumineuse. Car oui, il l'était certainement, mais d'une façon si divine qui pardonne tous les écarts. Léo répondait d'ailleurs ainsi, lorsqu'on le taxait de misogynie :
« Misogyne, on me le dit souvent. Je le suis, mais misogyne, c'est un homme qui aime trop les femmes ».
Publié le 08/06/2008 à 12:00 par jefka

L'amitié est une équipée dont jamais il ne faut se préserver. Cette amitié est superbement décrite et chantée dans cette oeuvre au titre antonyme, Les étrangers.
En août 1972, Léo retrouve sa bande de copains, Maurice Frot, Paul Costanier et René Lochu. Ce dernier est un militant libertaire et engagé, qui aura une certain influence sur le poète. Ferré lui rend d'ailleurs hommage, en citant plusieurs fois son ami dans cette chanson qui vous est présentée.
C'est pas comme en avril en avril soixante-huit
Lochu tu t'en souviens la mer on s'en foutait
On était trois copains avec une tragédie
Et puis ce chien perdu tout prêt à se suicider
Léo Ferré n'était pas venu seul à la rencontre de ses amis. Il était accompagné d'un chien qu'il avait receuilli, non pas sur le bord de la route mais en plein milieu de la voie, l'animal restant planté là, avec toute l'inconscience et la négligence de celui qui se suicide. Léo aimait les animaux et il ne pouvait ainsi le laisser abandonné. Tout comme il ne renonce pas ausouvenir de Pépée.
Ma maman m'a cousu une gueule de chimpanzé
Si t'as la gueule d'un bar je l'appelle Pépée Ferré
C'est pas comme en avril en avril de mon cul
Avril 1968, le mois où Pépée s'éteignit...
Et puis viennent ces petits moments simples, qui sont bonheur lorsqu'ils sont partagés. Un après-midi, les quatre compères tuent le temps à coups d'amitié et se laissent séduire par de bonnes crêpes bretonnes que leur apporte Lochu. Le geste est là, sans calcul, avec pour seul souhait de donner et de faire partager. Léo en est certainement très touché et il le chante.
Quand la mer se ramène avec des étrangers
En Bretagne y a toujours la crêperie d'à côté
Et un marin qui t'file une bonne crêpe en ciment
Tellement il y a fouré des tonnes de sentiment
Le marin est aussi mis à l'honneur. Il est en quelque sorte celui qui vous sauve lorsque vous échouez, quelque part à un moment de votre vie, dans un lieu que vous ne connaissez pas ou dans un état dans lequel vous ne vous reconnaissez plus. Vous devenez un étranger, pour les autres et le pire de tout, pour vous-même. Léo Ferré n'en est peut-être pas très loin à ce moment-là, lorsqu'il traîne ses guêtres en Bretagne, pour tenter certainement d'oublier sa rupture avec Madeleine.
Quand la mer se ramène avec des étrangers
Homme ou chien c'est pareil on les r'garde naviguer
Et dans les rues d'Lorient ou d'Brest pour les sauver
Y a toujours un marin qui rallume son voilier
L'amité encore, est présente dans l'accompagnement de cette chanson, servi par la violon d'Ivry Gitlis. Sa présence avait été spontanée lors de l'enregistrement du disque en 1974. Cette présence sera très forte lors de l'émission Le Grand Echiquier, en 1975, lorsque les deux amis se rencontrent pour interpréter une chanson. Mon dieu, que c'était beau en ce temps là...
Publié le 02/06/2008 à 12:00 par jefka

En 1970, la révolution sexuelle est amorcée. Mai 68 n'est pas très loin et la société française n'a pas fini d'être bouleversée. Le sexe s'exprime dorénavant librement, sous les coups des femmes qui se libèrent et des artistes qui le chantent. Léo n'échappe pas à cette vague, et dans ce début des seventies, il sort un album qui contient quelques chansons révélatrices de nouvelles pulsions qui semblent traverser le poète. Petite, fait partie de cet album. Cette oeuvre, de grande qualité littéraire, n'en finit pas moins de troubler celui qui l'écoute.
Tu as des yeux d'enfant malade
Et moi j'ai des yeux de marlou
Quand tu es sorti de l'école
Tu m'as lancé tes petits yeux doux
Et regardé par n'importe où
Ah! petite Ah! petite
Je t'apprendrais le verbe aimer
Qui se décline doucement
Loin des jaloux et des tourments
Comme le jour qui va baissant
Il est ici question d'un fruit totalement défendu par la loi et les moeurs, une passion qui pourrait s'exprimer entre un homme et une jeune fille, qui ne serait encore qu'une enfant. Paradoxalement, la chanson ne fait pas scandale à cette époque. L'heure est tout au permis dans les mots et dans les slogans. Elle aurait certainement entraînée beaucoup plus de réactions si elle avait été écrite aujourd'hui, notre société ayant encore en mémoire la pédophilie révélée sur la place publique au cours de dernières affaires toutes plus sordides et infâmantes les unes que les autres.
Ferré ne passe pas à l'acte, mais toute en subtilité, il évoque le trouble qui peut naître entre l'adulte et une âme neuve, jusqu'à devenir une obsession puis un tourment.
Tu as le buste des outrages
Et moi je me prends à rêver
Pour ne pas fendre ton corsage
Qui ne recouvre qu'une idée
Une idée qui va son chemin
Cet amour est interdit, inconcevable. Si la conscience faiblit, la loi est là pour rappeler cette évidence au tourmenté. Léo conclut d'ailleurs cette chanson ainsi :
Tu reviendras me voir bientôt
Le jour où ça ne m'iras plus
Quand sous ta robe il n'y aura plus
Le Code pénal
Publié le 01/06/2008 à 12:00 par jefka

Avec le temps...
Avec le temps va tout s'en va
On oublie les passions et l'on oublie la voix
Qui vous disaient tout bas les mots des pauvres gens
Ne rentre pas trop tard surtout ne prend pas froid
Il est des rencontres dans la vie qui marque l'existence. Une rencontre amoureuse, une amitié naissante, un professeur qui vous délivre quelques clefs du savoir, sont autant de boussoles nous guidant vers un bonheur consensuel, communément admis, et c'est ainsi. Il ne s'agit nullement de renier ces évènements qui jalonnent notre chemin car ils participent à notre construction. Il s'agit plutôt de mettre en évidence cette nuance entre des sentiments courants et la perception, un jour par hasard, du Beau. « Avec le temps » fût pour moi ce détonateur qui enfonce une porte dont j'ignorai la présence. Je fîs dès lors la connaissance de Léo Ferré, et touché par la grâce du texte, je me laissais emporter dans l'univers du poète. Dorénavant, les mots ne seraient plus simplement un outil, mais l'artifice au service de la beauté.
Les premières notes de cette chanson sont saisissantes car reconnaissables entre toutes. La rythmique image les secondes qui tombent, imperturbablement, sans que quiconque n'y puisse rien. Il s'agit d'une fuite, celle du temps, et dont la victime est l'amour. Il y a un début, une passion, qui plus tard ne sera plus qu'une ombre, un souvenir.
Avec le temps...
Avec le temps va tout s'en va
On oublie les passions et l'on oublie la voix
L'amour, c'est l'autre, qui dans les instants premiers se tient près de vous comme une évidence. Un regard, le toucher, quelques mots se suffisent pour comprendre ce qui l'anime, ses envies. Et puis :
Avec le temps va tout s'en va
L'autre qu'on adorait qu'on cherchait sous la pluie
L'autre qu'on devinait au détour d'un regard
Entre les mots entre les lignes et sous le fard
D'un serment maquillé qui s'en va faire sa nuit
Avec le temps tout s'évanouit
L'amour ne cède pas si facilement. Il se bat. Cherche des solutions. Il se rappelle à ceux qui l'ont vécu, s'adresse aux souvenirs. Il se déguise en tendresse pour quelque temps, puis vaincu par toutes ces années, cède sa place au solitaire.
Avec le temps...
Avec le temps va tout s'en va
Mêm'les plus chouett's souv'nirs ca t'as un'de ces gueules
A la gal'rie j'rfarfouille dans les rayons de la mort
Le samedi soir quand la tendresse s'en va tout'seule
Avec le temps...
Avec le temps, est un monument de la chanson française car cette oeuvre s'adresse à chacun d'entre nous, dans des termes simples pour exprimer une réalité bien cruelle. Seulement l'amour parfois se défend très bien et certains ne connaissent pas la culpabilité d'y avoir laissé quelques années.
Et l'on se sent floué par les années perdues
Alors vraiment
Avec le temps on n'aime plus
C'est une vision pessimiste du poète. Léo Ferré sera parfois mal à l'aise pour interpréter cette chanson. Il n'hésitera pas parfois à la massacrer sur scène, comme s'il figurait un combat contre l'évidence ou une destinée toute traçée, et ainsi de ne pas être le complice du temps.